Apprendre de la tourmente… Parallèles avec une crise humanitaire
Le propre des crises est de nous tomber dessus sans prévenir.
Le vendredi 15 janvier 2010 en fin de journée, soit quatre jours après le tremblement de terre qui a détruit Port-au-Prince, je suis appelé dans une rencontre de logistique, car mon employeur, Vidéotron, est sur le point de dépêcher une équipe de deux personnes pour établir un centre de communication au cœur de la capitale dévastée. Après avoir discuté du matériel minimal pour l’opération, on me demande d’être de l’équipe et on m’informe que le départ est prévu pour le lendemain matin. Sans vraiment trop y penser, c’est oui : pas question de passer à côté de cette expérience.
Malgré l’improvisation entourant notre intervention sur le terrain à la suite du tremblement de terre de 2010 en Haïti, notre manière de naviguer dans la crise m’a souvent servi de points de référence dans les discussions apparentées au sujet dans le secteur des TI.
La soirée et la nuit sont occupées par une préparation frénétique en vue du départ. Mon matériel personnel ressemble à celui que j’ai normalement avec moi lorsque je fais de la longue randonnée, incluant une boussole que je traîne par habitude et qui s’avérera très utile.
Le matin, sur le tarmac, nous chargeons le matériel dans l’avion privé de monsieur Péladeau et nous devons nous rendre à l’évidence : nous allons devoir laisser du matériel derrière. Après un tri de dernière minute pour choisir deux unités fixes et une unité mobile de communication satellite, repaquetage, approbation des pilotes pour le poids du cargo et nous décollons. Nous allions découvrir, une fois arrivés, que dans notre hâte, nous n’avions pas porté la même attention aux besoins des « deux humains » qu’aux systèmes de communication. Il nous faudra improviser, ne serait-ce que pour manger les sachets de nourriture déshydratée.
En passant par la République dominicaine où deux camionnettes nous attendent, nous arrivons à Port-au-Prince le dimanche en fin d’après-midi. La ville est dévastée, des corps gisent dans les rues et les gens errent ou fouillent les décombres. Nous prenons la mesure de ce qui nous attend : c’est très différent d’en entendre parler à la télévision que d’être plongé dedans.
Nous passons plusieurs jours à parcourir la ville pour trouver une maison qui a résisté au séisme et avoir une entente avec le propriétaire afin d’y installer les antennes et le centre de communication.
La maison trouvée, nous nous mettons au travail. Nous adaptons continuellement nos façons de faire, car installer le tout selon « les meilleures pratiques » est impossible. Arrive le moment de pointer la première soucoupe vers le ciel et de trouver le satellite : l’appareil permettant d’ajuster l’orientation, l’élévation et l’angle de rotation du récepteur est resté à Montréal. Un peu découragés, nous brainstormons et je finis par proposer d’utiliser ma boussole et un cadran découpé dans un morceau de carton pour faire nos ajustements. C’était tellement low tech et saugrenue comme idée, mais nous n’avions aucune option de rechange.
Nous allumons la génératrice pour alimenter le système. En ligne sur le téléphone satellite mobile avec le groupe des opérations à Montréal, nous commençons à faire nos ajustements en espérant établir le lien : il nous faut trouver un signal de 10-16w dans un ciel ouvert. Une trentaine de minutes plus tard, le lien est établi et nous pourrons, dans les jours qui suivront, inviter la société civile et les médias de Port-au-Prince à utiliser le centre de communication pour coordonner les efforts sur le terrain et pour communiquer avec la diaspora haïtienne et le monde en général.
Le bouche-à-oreille étant particulièrement efficace et en vogue à l’époque à Port-au-Prince, nous avons aussi reçu une invitation des gens de Télécoms Sans Frontières installés sur la base onusienne à l’aéroport, pour les aider à monter leurs propres installations devant servir aux ONG.
Notre dernière tâche fut d’instruire une équipe locale sur le fonctionnement du centre et de passer la main. Il ne nous restait plus qu’à retourner à Montréal, heureux de notre modeste contribution et riches de cette expérience unique dans nos vies.
“Nowclimb youngGrasshopper, so your Kung Fu won’t be weak.” *
Maintenant, grimpez jeune sauterelle, pour que votre Kung Fu ne soit pas faible.
Se préparer à une crise dans le monde des TI est absolument nécessaire, car la probabilité d’un incident avoisine 100 %. Comme dans notre voyage, le niveau de préparation variera d’une organisation à l’autre, mais j’ose espérer qu’au sein de vos équipes, vous avez déjà identifié les joueurs clés qui seront en mesure de naviguer avec le stress, les incertitudes, la politique, les embûches avec facilité et faire preuve de flexibilité et de créativité pour vous sortir de la crise.
Article écrit par Bruno Germain
Bruno Germain Architecte de solutions chez Zscaler, 37 ans d’expérience dans la conception, la mise en œuvre, l’exploitation et la sécurisation d’infrastructures de télécommunication pour les centres de données, les intranets, les zones démilitarisées et les WAN mondiaux. Membre de l’équipe d’origine qui développe les normes IEEE 802.1ah et 802.1aq pour les réseaux virtualisés et fournit de nouvelles architectures de centre de données pour l’évolutivité et l’automatisation. Partage des brevets sur l’intégration de routeurs virtuels à ces normes et sur la virtualisation des centres de données. Architecte technique dans une organisation de développement commercial, responsable de l’engagement avec les DSI et les équipes techniques, d’identifier de nouvelles opportunités de marché et de fournir des spécifications pour d’autres améliorations de produits. PME fournissant un support de superposition aux équipes de vente du monde entier. Il est aussi … Amateur de plein air (et de bons moments, car la vie est courte), et passionné par les forces et les failles des architectures sécurisées.
COMPLÉMENT : 5 pépites de sagesse transférables aux TI :
Mon directeur de l’époque savait exactement qui il voulait envoyer à Haïti lorsqu’il est venu me chercher. Il en va de même pour une cellule de crise : n’en laisser pas la composition au hasard.
Ça n’ira pas comme prévu, ce qui ne veut pas dire de ne pas planifier. En revanche, ce que cela veut dire, c’est que nous aurons besoin de gens d’expérience ET avec l’ouverture d’esprit nécessaire pour nous adapter et envisager des solutions possiblement inédites.
Évaluer les idées proposées au mérite.
Ne pas attendre d’avoir l’approche parfaite avant d’agir pourvu que ça aille dans la bonne direction. Plutôt avoir une approche itérative pour s’améliorer avec le temps.
Quand une crise frappe, nous sommes tous dans la même équipe. Ne pas hésiter à partager nos expériences, nos approches et offrir notre aide à une autre organisation. Ou au contraire, à demander du soutien si nous sommes au bout de nos ressources.
Prévoir ce qu’il faut pour que les « humains » fonctionnent bien.
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