Contrôler son émotion : attention à la surcrise
- La direction
- il y a 17 heures
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Pour moi qui suis issue du monde de la thérapie, il est toujours assez saisissant d’arriver en entreprise pour intervenir sur une gestion de crise ou pour proposer un exercice et de me rendre compte qu’il s’y véhicule encore parfois des idées aussi dépassées que tenaces sur les émotions et sur la façon dont nous devrions les gérer, ou plutôt les « contrôler », lorsqu’une situation tendue se présente.

Et par « contrôler », entendez « arriver à l’instar d’un robot à ne rien ressentir pour agir avec froideur ». Étonnant. Comme si cela était devenu, à un moment de l’évolution de nos croyances sur notre condition humaine, un gage d’efficacité. Nos chers stoïciens, si leur travail est incommensurable en termes d’apport à l’humanité, n’y sont sûrement pas pour rien, bien aidés par quelques héros mythologiques et certains bons blockbusters (superproductions) hollywoodiens.
Or, le principe même d’une émotion est que nous n’avons pas de prise dessus. Elle vient ou ne vient pas, reste acceptable ou déborde, mais en aucun cas vous n’en avez la télécommande. C’est là tout l’objet du travail de l’école de Palo Alto sur les notions de processif et de réflexif. Tenter de contrôler les processus automatisés de notre corps (pulsions, émotions, envies…) avec notre tête amènera à les radicaliser. C’est le cas par exemple de la procrastination ou de l’insomnie : ce n’est pas votre tête qui décide enfin de s’endormir, mais votre corps, et si vous réfléchissez à comment faire, vous ne dormez pas.
Par ailleurs, « gérer » en évitant est un non-sens. Imaginons que nous partions en mer et que je vous demande de gérer le bateau. Si vous en descendez, vous n’aurez rien géré du tout. C’est à peu près aussi absurde que de gérer une émotion en lui demandant de ne plus être là.
L’émotion dans la crise, une colocataire parfois gênante.
Le mot « émotion » vient du latin emovere, qui signifie « mettre en mouvement ». Ce mécanisme du corps permet d’être adapté à une situation et de combler un besoin. Ainsi, quoi de plus logique, face à une crise et donc à un danger potentiel, que votre corps cherche à vous mettre en mouvement, à vous rendre adapté à l’enjeu?
La peur et ses dérivés, comme le stress,
ont avant tout la vocation
d’assurer votre mise en sécurité.
La colère, et son énergie très exocentrée,
vous permet de créer du changement;
et la joie, parfois si explosive,
raconte votre besoin de partage.
En somme, une émotion est un messager, un peu comme un postier qui viendrait nous livrer un courrier recommandé.
C’est souvent peu agréable, mais en vouloir au postier n’aurait aucun sens.
C’est le message contenu dans cette lettre qui peut éventuellement vous contrarier. Le postier, lui, n’y est pour rien : il veut simplement faire son travail.
Alors, convenons-en, celui-ci est un peu acharné. Sans réponse, il se présentera encore et encore, sous des formes diverses et de plus en plus pressantes, jusqu’à parfois enfoncer votre porte pour être entendu – comprenez : « vous surprendra avec une émotion incontrôlable ».
Paradoxalement, c’est cette peur de perdre le contrôle qui nous empêche souvent d’ouvrir notre porte et qui finit irrémédiablement par générer le high kick (coup de pied) bien senti qu’il mettra dedans.
Problème : lorsque l’on ressent fortement une émotion, il est souvent compliqué d’avoir concomitamment une réflexion pertinente.
Or, en gestion de crise, nous avons besoin de toute notre capacité tactique et stratégique, c’est vrai.
Mais, vous l’aurez maintenant compris, en rejetant cette émotion, nous prenons aussi le risque d’avoir un répit de celle-ci, tout en ne maîtrisant pas le moment où elle se représentera, ou de la renforcer et qu’elle devienne incontrôlable.
Mais revenons-en à notre contexte. Une crise est, par essence, un événement à fort potentiel de déstabilisation pour l’organisation. Les corps ont donc tout un tas de messages à nous livrer et, bien naturellement, des émotions se déclenchent. Rien d’étonnant, donc, à ce que la peur et la colère se montrent régulièrement en premier lieu. Contournons ici un instant l’émotion pour regarder le besoin qu’elle exprime. Si vous arrivez à ce que la situation change (colère) afin de vous mettre en sécurité (peur), alors la crise s’arrêtera. Ce que vous propose votre corps paraît donc plutôt censé.
Prenons l’exemple de la crise cyber
La séquence émotionnelle commence souvent par la colère plus ou moins contenue d’un dirigeant qui demande à son directeur de la sécurité de l’information (DSI) de combien de temps il a besoin pour, au choix, avoir une idée de ce qui passe et de l’étendue de ce qui est touché et/ou recouvrer une fonctionnalité normale.
Le DSI répond qu’il ne sait pas. C’est vrai, il n’en a aucune fichue idée. Son supérieur commence à percevoir qu’il ne va pas être aussi facile de reprendre le contrôle…
Eh oui, les premiers instants d’une crise cyber nous laissent toujours un peu démunis. Les trente premières minutes sont rarement bonnes conseillères, et attendre de laisser l’émotion faire son travail devrait permettre de rapidement vous laisser accès à votre capacité stratégique. Avant de peut-être pouvoir, dans quelques heures ou quelques jours, exprimer votre joie et votre soulagement.
Et, pour finir, soyez bienveillant aussi avec les émotions des autres. Une crise est un moment particulier qui met les individus à rude épreuve. Dans la limite de votre intégrité, ne tenez pas rigueur aux autres de leur émotion dans la tempête. Être capables de passer par ces moments houleux ensemble vous renforcera en tant qu’équipe et vous fera gagner une expérience aussi stratégique qu’émotionnelle pour les enjeux à venir.
Article rédigé par Anne-Gervaise Vendange
Anne-Gervaise Vendange est une experte en profilage, en influence, en gestion et en communication de crise. Après avoir accompagné des milliers de personnes en crise personnelle, elle crée en 2021 In-Cognita, pour déployer son savoir-faire à plus grande échelle.
Pour en savoir plus : https://www.linkedin.com/in/annegervaisevendange/
COMPLÉMENT : ET CONCRÈTEMENT?
Entraînez-vous régulièrement. Plus de d’habitude = moins d’émotion. C’est ainsi que vous gérez sans doute calmement aujourd’hui des choses qui vous ont stressé dans le passé.
Ne combattez pas votre émotion, collaborez avec elle. Reconnaissez votre besoin, normalisez-le. Une émotion ne se juge pas, sa simple présence la justifie. Vous êtes un être humain et c’est une bonne nouvelle, car c’est exactement ce dont nous avons besoin pour nous sortir de là!
Imaginez le pire de ce qui pourrait se passer. C’est assez contre-intuitif, mais efficace. Évidemment, c’est intéressant en termes de prise de décision, mais cela va aussi dire à votre émotion que vous êtes conscient de l’enjeu. Éviter d’y penser lui enverrait le message inverse et la rendrait plus puissante. Ainsi, vous devriez sentir votre émotion se calmer rapidement.
Il est possible de donner rendez-vous à son émotion. Si vous sentez qu’elle déborde, dites-lui que vous l’avez entendue, mais que vous n’êtes pas disponible maintenant. Lorsque vous serez seul, prenez sincèrement un temps pour la ressentir. C’est ainsi que l’on peut passer le trajet de retour du travail à rejouer la joute verbale du midi avec Joséphine de la comptabilité. Ce mécanisme est salvateur si et seulement si vous ne lui demandez pas de se mettre à l’écart pour ne jamais l’accueillir; elle saurait s’en souvenir.
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