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L’expression des biais cognitifs dans les cellules de crise

Depuis les productions de Kahneman et Tversky (1972), il n’est pas rare de voir aborder la problématique des facteurs humains et notamment de l’expression des biais cognitifs dans le cadre des études de crises.

Pourtant, ils sont rarement listés et explicités.

4 visages qui représente des biais cognitifs
L’expression des biais cognitifs dans les cellules de crise

La gestion d’une crise nécessite de pouvoir se reposer sur une organisation, sur des méthodes et des outils, mais aussi sur une capacité aiguë à des interprétations et des décisions, comme l’a démontré Weick entre 1988 et 2010. Dans ce cadre, connaître et comprendre les biais qui s’expriment en nous en situation de crise devient un levier clé du succès de la gestion de l’événement.


Pour pallier le manque de précision quant aux biais observés en cellule de crise, nous vous proposons un panel des biais fréquemment identifiés en cellule et quelques astuces pour les éviter.

L’observation de diverses cellules de crise en action nous a en effet amenés à identifier trois vecteurs nourrissant l’expression de ces biais :


L’expérience :

aussi profonde et riche est-elle, toute expérience est par définition limitée. Cette limitation, associée à son pouvoir de représentation personnelle, amène à un effet ciseau (couple limitation-influence) particulièrement favorable à l’expression des biais cognitifs.


Le statut hiérarchique :

la légitimité est très souvent associée au statut hiérarchique de la personne dans de nombreuses organisations aussi bien privées que publiques. Il apparait très difficile tant aux détenteurs des titres qu’aux interlocuteurs de ces responsables de dissocier le statut (grade, position, etc.) des notions de pertinence des propositions au statut.


La planification : la planification, lorsqu’elle tend vers le détail selon une description précise et anticipée des crises à venir et qu’elle se base sur le respect de routines solides, semble contribuer à la réduction de l’ouverture cognitive, à l’anticipation de ruptures potentielles et à l’amorce d’actions improvisées.


Nous proposons ici de nous intéresser aux neuf biais cognitifs que nous observons le plus souvent en situation de crise et qui faussent la compréhension et la prise de décision des cellules de crise :

  • Le biais de narration : phénomène de sélection d’éléments jugés a posteriori afin qu’ils s’articulent dans un récit qui nous apparait cohérent. La raison du sujet manifestant ce biais est moins intéressée par la vérité des faits, avec ses parts de clarté et d’inconnu, que par une logique apparente laissant apparaître une continuité logique, car causale, dût-elle être fausse. C’est dans ce cadre que tout narratif décrivant une crise une fois l’événement passé peut être un gage de cohérence, mais aucunement de vérité.

  • Le biais du survivant : toute expérience d’autres crises amène un risque de généraliser les situations de crise précédentes considérées comme satisfaisantes, voire réussies. Or les situations étant toutes différentes, cela peut amener à répéter aveuglément des routines et des principes potentiellement inadaptés, voire contre-productifs. Ici, l’induction peut donc amener à stéréotyper les réponses et les décisions au regard de situations apparemment comparables, mais réellement très distinctes.

  • Le biais du champion : il s’exprime comme un excès de confiance envers des positions légitimes et expertes sans prendre en considération que les « champions », s’ils disposent de connaissances spécifiques évidentes, sont enclins à des biais idiosyncrasiques réduisant l’anticipation et l’imagination.

  • Le biais de représentativité : les événements qui nous viennent plus facilement en mémoire, du fait de leur fréquence ou bien de leur caractère marquant, nous semblent plus plausibles, voire probables, que d’autres. Le phénomène d’induction est ici encore à l’œuvre et conduit à surestimer les potentialités de risques dans une subjectivité tout inductive.

  • Le biais de présomption : il s’agit d’un phénomène consistant à présumer que l’on comprend une problématique du seul fait que l’on dispose d’une routine pour la gérer. Ce biais conduit le plus souvent à un excès de confiance dans le protocole et limite, par conséquent, la conservation d’une marge de manœuvre et d’adaptabilité.

  • Le biais d’attribution : ce phénomène consiste à attribuer les succès des décisions et des actions à ses qualités personnelles et à attribuer ses échecs au hasard. Ce biais s’exprime de façon particulièrement significative lors des séances de retour d’expérience.

  • Le biais d’ancrage : il consiste à instaurer les termes du débat et ainsi à influencer la réponse de l’interlocuteur. Il est particulièrement observable lors de discussions et d’ajustements amorcés à l’issue d’un désaccord entre les membres de la cellule de crise dans le cadre d’une injonction relative à une décision qui nécessite une acceptation collective. Il amène à une manipulation de la décision par réduction des potentialités de réponses de l’interlocuteur.

  • Le biais de confirmation : il consiste à se focaliser exclusivement sur des éléments prédéfinis et à exclure de façon inconsciente, mais radicale des éléments en désaccord avec ces derniers.

  • Le biais rétrospectif : il consiste à estimer, a posteriori, qu’un événement était probable ou prévisible, alors qu’il ne l’était pas a priori sur la base des informations alors disponibles.

Conclusion

Si les biais ne sont pas évitables, leur expression peut néanmoins être diminuée par une vigilance et une discipline collectives. Dans un contexte d’anxiété et d’incertitude, de surcharge informationnelle et cognitive et de surexpression des émotions, nous invitons sincèrement les cellules à s’organiser de manière à mieux objectiver leurs débats et, surtout, leurs prises de décision.

Raphaël De Vittoris

Raphaël de Vittoris est Group crisis manager de Michelin depuis 2015, il est aussi enseignant et chercheur en sciences de gestion sur les problématiques de gestion de crise, gestion des risques, communication de crise, négociation de crise et biais cognitifs en situation de crise. Docteur en sciences de gestion et qualifié maître de conférence, diplômé d'un master en physiologie en environnement extrême, d'un master en administration d'entreprise et d'un master en hygiène, sécurité et environnement, il enseigne dans divers masters et il est membre du board de l'Institut d'études des crises et d'intelligence économique et stratégique. Il est aussi l’auteur de « surmonter les crises (Dunod, 2021) » et de « par de lala résilience et l’antifragilité (Eska, 2022)

En savoir plus : http://antifragile.fr/

 

EN COMPLEMENT : ENTRAÎNEZ-VOUS POUR ÉVITER LES PHRASES.


Si l’expression des biais n’est pas contrôlable, il demeure qu’une connaissance des biais par l’équipe de la cellule de crise permet de détecter leur manifestation de manière à en diminuer l’influence.

À ce titre, nous conseillons aux cellules de s’interdire de prononcer ou d’entendre de telles phrases en situation de crise :

  • « Voici comment tout cela est arrivé, c’est tout simple :… »

  • « C’est une situation bien connue :… »

  • « Restons sur des méthodologies utilisées par ceux qui ont fait face avec succès à de telles circonstances. »

  • « Suivons le plan à la lettre, c’est bien assez. »

  • « Je connais bien la gestion de crise, j’ai fait toute ma carrière dans l’armée/la police/les forces d’intervention/etc. »

  • « Je savais que la décision était stupide… Mais, comme tout le monde était d’accord, je n’ai pas voulu dire quoi que ce soit. »

  • « Je vous propose d’abord mon idée et vous réagissez ensuite. »

  • « Ils n’auraient jamais dû faire ça à ce moment. »

  • « J’ai rapidement collecté quelques informations et voici la situation :… »



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